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Le blog de JeanM
27 septembre 2007

Chapitre III

                                CHAPITRE III

                                         DE QUELQUES EXEMPLES...

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Quelques exemples, assez proches de chez nous, dans le Cambrésis. Parce qu'ici, à Mouscron, nos historiens n'auront fait que retracer, au travers des archives, le parcourt classique des origines qui néglige totalement ce que pouvait être la vie même de ceux qui y demeuraient.

Je ne pense pas que tous les détails puissent être transposés, loin de là. Mais cette proximité (moins de 50 km) et le fait que toute cette région aura connu les mêmes événements et des bouleversement identiques - en ces temps-là du moins... - me laisse penser que bien des points communs pourront y être trouvé.

Dans l'état actuel de mon travail, je pense qu'une certaine prudence s'impose encore. C'est pour cette raison que l'on ne trouvera que peu d'affirmations catégoriques, mais seulement des possibilités quant à des "scénarios" identiques.

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1 - LES CAMPAGNES SOUS LE HAUT EMPIRE.

Dans ce que j’appellerais la « Flandre du Nord », la civilisation romaine est rurale plus qu’urbaine. C’est une évidence lorsque l’on constate que c’est la culture du blé qui convient le mieux aux étendues plates de Flandre et aux riches plateaux limoneux du Cambrésis et du Hainaut. A cela s’ajoute l’élevage du mouton, dont le « sabot d’or » fertilise le sol.

Les textes anciens sont là pour témoigner de la variété de l’agriculture : le poète Martial évoque le jambon des Ménapiens qui est exporté jusqu’à Rome. Pour rappel, les Gaulois avaient une excellente réputation en matière de préparation des charcuteries.

Dans son « Histoire naturelle », Pline l’Ancien fournit de nombreux détails sur la diversité des productions : aux côtés de l’arincia (céréale indigène) et du tissage du lin, il retient les pélicans (onocrotales), les platanes et les oies pour évoquer la Gaule du Nord ; il mentionne aussi les cultures de légumes (carottes, choux et fèves) et de fruits. Il décrit ainsi les techniques employées : « La moisson se fait suivant diverses méthodes. Dans les grandes propriétés des Gaules, on pousse à travers les champs de blé de grandes moissonneuses dont les bords sont munis de dents, montée sur deux roues et auxquelles une bête de somme est attelée à l’envers ; les épis ainsi arrachés tombent dans la moissonneuse » (Pline l’Ancien, « Histoire naturelle, 72, 30).

On notera qu’à l’époque romaine les forêts affichent un net recul. Elles ont pu récupérer bien des espaces incultes dans les siècles qui suivirent.

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L’univers des « villae ».

Le plan « classique » de la villae est d’une nette uniformité. On trouve la villae dans les riches terres à blé du Cambrésis (Boussières, Iwuy, Eswars, Proville…) et plus rarement dans le région de Maubeuge (Bois-Brûlé, ) et dans celle de Lille (Bouvines, Seclin, Flers). L’implantation de fait soit sur les plateaux limonneux, soit  dans les vallées de l’Escaut comme à Proville.

Note : on aurait relévé les traces d'une villae romaine sur l'actuel territoire de la commune de Kooigem...

Les villae sont orientés vers le Levant comme le conseille les agronomes latins. Dans l’ensemble, la superficie des bâtiments est moyenne : 770 et 241 m² pour les deux sites d’Iwuy.

Située à 600 m de la chaussée de Bavay à Trèves, la villae de Bois-Brûlé, près de Maubeuge, a dans son premier état une forme allongée de 19 sur 11 mètres et une superficie de 210 m² ; des agrandissements postérieurs en ont fait un ensemble de 30 sur 16 mètres, donc de 480 m². L’habitation est divisée en plusieurs pièces précédées d’une galerie-façade qui comporte une entrée monumentale. Des hypocaustes ont été aménagés.

Les habitants pratiquaient très vraisemblablement la culture du blé et l’élevage du mouton.

Archéosite d’Aubechies (Beloeil) – La villae Mayen.

Reproduction d’une villae , avec fresques et mobilier d’époque. Parements et soubassements sont réalisés avec du grès de Grand-glise, qui était utilisé pour la majorité des constructions romaines de la région. Les pierres sont liées par du mortier romain, mélange de sable, de chaux et de briques pilées, qui donnent cette teinte rosée à l’ensemble.

Voir aussi : http://www.villa-romaine.be/

http://users.skynet.be/cedarc/sites/villa2000.html

http://villasromaines.free.fr/belgique/treignes.html

L'archeosite d'Aubechies :

http://www.archeosite.be/presentation-famille.php?lang=fr

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Aubechies, la reconstitution de la villae de Mayen

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2 - Vici et fana

Les vici sont de simples hameaux à proximité d’une villae, des bourgs ruraux ou des stations de carrefour. Des vici existent depuis le Ier siècle, bourgs routiers ou fluviaux mentionnés dans les itinéraires : Escautpont, Bermerain, Trith-Saint-Léger et probablement Wervicq et Kerkhove.

D’autres sont des villages. Par exemple Lewarde (près de Douai). Ce site est un vicus, qui se trouve non loin de la voie romaine Tournai – Amiens par Arras, qui est déjà occupé à la fin de la période gauloise et le reste entre le Ier et le IVe siècle. L’élevage des ovins et des bovins constitue l’activité essentielle des habitants, comme le prouvent les restes d’ossements d’animaux retrouvés sur place. A cela s’ajoute accessoirement une industrie rurale : le travail de la céramique, du fer, de l’os, des tanneries et tissages.

Les fana jouent un rôle non négligeable dans la romanisation des campagnes . Ils constituent des pôles d’attraction, ce sont des lieux de réunions périodiques où se déroulent les marchés, les foires et les fêtes.

Il se dégage une impression de forte occupation du Nord à l’époque romaine, bien que le peuplement soit très inégal. L’habitat le plus dense se trouve autour de Valenciennes, Douai, Cambrai. Par contre, d’autres zones de Flandre apparaissent presque vides.

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Recoimage0_19nstitution d'habitats :

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On a ci-dessus, les implantations fortifiés, établies par les romains en vue de se protéger des incursions venant de la mer. Des recherches archéologiques récentes dans la région de Comines et de Warneton prouvent que bien des villages de la vallée de la Lys et du Ferrain étaient déjà occupés à l’époque.

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Le territoire des Ménapiens était caractérisé par une faible densité d’occupation les distinguant des autres régions limitrophes : 30% des communes y ont un passé romain et mérovingiens, contre 74% dans le Cambrésis.

3 - Mœurs et langue(s).

S’il y a de bonnes raisons d’admettre que le latin soit devenu la langue usuelle des nobles, des riches et des classes moyennes, on est, par contre, très mal renseigné sur le parler des masses populaires. Il existe une survivance, plus ou moins importante, d’une onomastique traditionnelle d’origine celtique.

Les indigènes ont gardé leur mode de vie ancestral, gardant non seulement le langage, mais aussi leurs coutumes et leurs croyances.

Dans le domaine religieux, les traditions celtiques demeurent. Et si « l’inter Lestretario romana » a consisté à donner des noms romains aux dieux celtiques (derrière Mars et Mercure se cache Teutates), la Grande Mère gauloise a été identifiée à Vénus et Minerve.

4 - La crise du IIIe siècle et la reconstruction du IVe siècle.

La « pax romana » commence à être troublée dès la fin du IIIe siècle : en 170 et 174, sous le règne de Marc-Aurèle, les Chauques entreprennent une série de raids de piraterie en Mer du Nord ; ils remontent le cours de l’Escaut, détruisent Tournai et atteignent la voie Tongres – Bavay.

Les Francs passent le Rhin en 252-254 (donc 70 ans plus tard, ce qui suffit à effacer des mémoires les raids Chauques, très limités géographiquement). Ce sera l’édification de la ligne de fortifications le long de la route Tongres – Bavay.

Ils reviennent à la charge de 259 à 263, par la voie Cologne – Bavay – Boulogne.

A partir de 250, les pirates Chauques pillent le littoral de la Mer du Nord et les routes terrestres partant des côtes, en particulier celle reliant Boulogne à Cassel.

Cette recrudescence du brigandage maritime coïncide avec la transgression flandrienne qui reprend au milieu du IIIe s. En 297, la panégyriste de Constance Chlore affirme que la région concernée n’est plus une terre… et là où elle semble un peu ferme, elle cède quant on la foule…(« Pahégyriste Lat. », IV, 8).

C’est cette période trouble qui verra la ruine des petits propriétaires dont certains deviendront des « bagaudes », organisés en bandes de pillards. Résultant de la disparition des villae et des vici et du manque de productions locales, les prix montent et les monnaies dévalues. Les villes s’enferment dans des remparts construit à la hâte avec des débris de monuments antérieurs.

5 - L’apaisement du IVe siècle.

En 284, l’avènement de Dioclétien marque un tournant dans l’histoire romaine.

Les « Notices des dignités », rédigés entre 386 et 450, atteste que Cambrai, capitale des Nerviens, remplace Bavay, ; de même Tournai devient chef-lieu des Ménapiens à la place de Cassel. La protection de la côte est assurée par le « litus saxonicum », et celle du Rhin par un « dux » résidant à Cologne et par une ligne de fortins ou « castella » jalonnant la voie Cologne – Tongres – Bavay.

Le système défensif comprend aussi la fortification des cités. Famars, « vicus du Haut-Empire, est réduit à un « castellum » au Bas-Empire : les thermes détruits par un incendies sont partiellement arasés et servent de fondation à la ville fortifiée. Le premier mur est construit à la hâte. Une seconde enceinte s’ajoute ensuite : c’est une construction en mortier rouge datant de l’époque de Julien ou de Valentinien Ier. Cette muraille reste partiellement visible ; le « castellum » présente un plan à peu près carré à façade ouest incurvée (110m sur 120m) avec des muraille de 1,80 d’épaisseur. Des tours sont construites tous les 24m : l’une d’elles a été réemployée pour le construction du château de Pailly. La superficie de cet ensemble occuperait moins de deux hectares : ce noyau très petit ne laisse pas la place, semble-t-il à une agglomération.

On a très peu d’éléments permettant de « voir » à quoi pouvait ressembler l’habitat de l’époque. A Douai, on trouve beaucoup de fosses silos, de trous de poteaux et de fonds de cabanes. Des habitations attestées avec certitude donnent les tailles suivantes : 4 à 5m de large et 15 à 20m de long. Leurs murs sont en bois et en pisé, leur toit en chaume.

Cambrai, lieu de résidence du comte impérial, devient une véritable ville entre le Vie et le VIIIe siècle. Elle profite de la situation géographique servant de relais entre le Bassin parisien et le pays de Flandre. C’est un centre important d’échanges avec Cologne d’où viennent les marchands d’esclaves et avec le Sud d’où viennent les épices et les produits orientaux. Mais des liens existent avec l’Angleterre et la Frise. Sur place, un atelier monétaire frappe des tiers de sous d’or (tremessis), émissent également à Cyssoing, à Famars et à Annapes. Tournai, après 675, bat des deniers d’argent.

6 - Urbanisme et christianisation.

Le développement des villes est lié à la diffusion du christianisme. Ainsi Cambrai va renaître au Vie s. grâce aux évêques saint Vaast et saint Géry.

A la fin du Ve s., il reste bien peu de chose de l’évangélisation primitive. La construction en dur d’une chapelle funéraire à Hoedain témoigne d’une tentative de christianisation de la vallée de l’Escaut au VIe . Une église est   érigée, à la même époque, à Famars. C’est l’établissement d’un évêque qui atteste la constitution de communautés chrétiennes organisées. En Gaule du Nord, la géographie ecclésiastique s’organise autour de trois centres stables :

  • A Tournai, le premier évêque attesté est Agrescius, qui assiste, en 552, au concile de Paris.

  • A Thérouanne, l’évêque Omer signe, en 633, un privilège de Clovis II pour les moines de Saint-Bertin.

  • A Cambrai, Géry est attesté comme évêque en 514.

7 - Le rôle des moines.

Si la constitution d’une organisation épiscopale est essentielle dans les premiers temps de la mission chrétienne, il ne faut pas minimiser le rôle des missionnaires et leur action. Leur nombre augmente au VIIe siècle : irlandais, comme Wasnon à Condé, Bretons comme Winoe à Wormhoudt, Gallo-romain comme Omer.

Le plus important de tous est Amand : fils de patricien aquitains, il parcourt la vallée de la Scarpe. On le retroiuve à Gand, à Marchiennes, à Tongres où il est évêque. Un vaste domaine de 9.000 hectares attribué par le roi Dagobert lui permet de construire le célèbre monastère d’Elnon (Saint-Amand-les-Eaux). Ursmer accomplit chez les Manapiens une œuvre semblable. Les monastères sont principalement situés le long d’un fleuve : la vallée supérieure de la Scarpe, la vallée de l’Escaut et la vallée de la Sambre. Les hauts plateaux restent plus longtemps païens.

La protection royale assure des immunités aux monastères. L’engagement personnel de la royauté et de l’aristocratie mérovingienne est capitale pour le développement de ces centres religieux. La communauté de Maubeuge a à sa tête Aldegonde dont les parents sont Walbert et Bertille et qui sont des nobles francs (vers 605, Walbert est administrateur des domaines royaux de nos régions). Au VIIe s., le monastère de Denain est fondé par Aldebert et Reine, parents de Pépin. Ces centres religieux constituent autant de bases pour la christianisation des milieux ruraux.

8 - Vers une culture mixte.

A la suite des invasions franques, on assiste à un recul de la « romania » dans nos régions.

L’étude des problèmes de la germanisation sont complexes. Devant la carence des sources littéraires, on fait appel à la toponymie, mais il n’est pas toujours possible de déterminer si les suffixes d’origine latine remontent aux premiers siècles ou sont des créations plus tardives.

A l’époque mérovingienne, parmi les suffixes caractéristiques, on peut citer « iacas » ou « iacas curtis » qui se retrouve dans à Auberchicourt et Bugnicourt, près de Douai. La terminaison la plus fréquente est « court », venant de « kouters » : elle est présente à Ostricourt et Pecquencourt, entre Douai et Lille.

Il convient de suivre, dans ses grandes lignes » les conclusions de M. Gysselinck ; selon cet auteur, le Nord est divisé par une frontière linguistique passant à l’ouest de Lille et rejoignant Béthune, dans le Pas-de-Calais. Au nord de cette ligne, les toponymes du Haut moyen age sont germaniques ou pré-germaniques, avec évolution phonétique germanique. La germanisation s’expliquerait surtout par des invasions venues d’outre-mer. En revanche, au sud, le territoire est « linguistiquement mixte ». On constate que les toponymes d’origine romaine, par exemple en « iacum », coexistent avec les désinences en « heim » et en « inghem ». Dans cette seconde zone, la germanisation est liée à la progression des Francs vers le sud, ce qui explique que les toponymes germaniques sont nombreux dans la région de Valenciennes, le long de la vallée de l’Escaut, dans la région de Douai, et qu’ils sont quasi inexistants sur les plateaux du cambrésis.

Dans la région de Lille, la situation est plus complexe : en effet, au nord-est, tout semble romain depuis le VIe s., ce qui s’explique par le rôle de la cité épiscopale de Tournai. Il est bien évident que la frontière évolue et le caractère linéaire que nous lui connaissons ne s’est mis en place qu’entre le IXe et le XIIe s.

9 - Les invasions et les pestes, Ve - VIIIe siècles.

L’époque qui va du 31 décembre 406, date du passage du Rhin par les Germaniques, à la reconstitution du royaume des Francs en 751 par les Carolingiens, est probablement celle d’un très grand bouleversement des populations, que ce soit par l’arrivée des nouveaux venus ou les ravages des épidémies diverses qui s’abattent sur ces territoires. Les groupes humains, encadrés par les royaumes barbares, ne se stabilisent qu’au VIIe s. Un nouvel effort de christianisation du mariage, la fusion des vainqueurs et des vaincus modifient les comportements, tandis que se dessine, avec cette homogénisation, une reprise démographique.

Plutôt que de s’attarder sur la trop terrifiante image livresque de la « trombe ethnique » s’abattant sur les populations romanisées de l’Occident, voyons le grand choc psychologique que constitua l’installation de ces barbares à la fois vainqueurs et méprisés.

Les romains furent d’abord surpris par leur haute taille. Odoacre, celui qui renversa le dernier empereur romains en 476, était si grand qu’il lui falait courber la tête pour ne pas heurter le toit de la cellule de l’ermite Séverin. Sidoine Apollinaire décrit les Burgondes qu’il rencontre, ou ceux qui s’installent chez lui à deux reprises, comme des géants mesurant plus de deux mètres ! Procole, lui aussi témoin de ce qu’il avance, déclare que les Germains orientaux « ont la peau claire, une chevelure blonde, une haute stature et une belle allure ». Ajoutons à cela qu’en portant les cheveux longs et en s’habillant de fourrures, ils ne passaient pas inaperçus.

Cela dit, la question se pose de savoir pourquoi ils s’installèrent dans l’Empire romain d’Occident ?

Il est impossible d’accepter les deux interprétations implicitement contenues dans l’expression des historiens allemands : « Volkerswanderugen », migrations de peuples, et celle des français : « invasions barbares », car l’une laisse supposer que l’on a affaire à de simples déplacements vers des pays vides et l’autre qu’il s’agissait de masses énormes, submergeant les vaincus sous le nombre.

Lorsque en 375, les Huns écrasèrent les Goths, une partie d’entre eux, les Wisigoths franchirent le Danube. Ce furent eux qui provoquèrent la chute de Rome en 410, puis qui s’installèrent en 418 en Aquitaine. Ils étaient alors environ 20.000 soldats : avec femmes, enfants, esclaves, etc., ils atteignaient un total de 100.000 personnes (Rouche, 1979).

Les Burgondes, après avoir été vaincus, s’établissent en Savoie en 436, probablement au nombre de 80.000. Ces armées tribales traînaient derrières elles des transfuges romains et des Germaniques dont les clans d’origine avaient été décimés.

Victor de Vita déclare que les Vandales, lorsqu’ils franchirent le détroit de Gibraltar pour s’installer en Afrique, durent se compter pour calculer le nombre de bateaux nécessaires : ils étaient 80.000.

Quant à ceux qui restèrent au pouvoir des Huns, depuis l’Ukraine jusqu’au Danube et ceci jusqu’à la bataille des « Champs Catalauniques », en 451, ils formèrent l’essentiel des troupes d’Attila.

B.S. Barach (1994) estime que, sur ces terres où vivaient 500.000 nomades, les Huns pouvaient mettre sur pieds de guerre un maximum de 100.000 hommes. Or, la bataille de Moirey, célébré par tous les chroniqueurs de l’époque comme étant la plus gigantesque bataille de tous les temps par le nombre de soldats impliqués, rassembla en fait, du côté « romain » 40 à 50.000 guerriers – Francs, Wisigoths, Bretons, Burgondes, etc. – et du côté « hun » le même nombre de combattants – Huns, Ostrogoths, Burgondes, Gépides, etc.

Les Alains qui suivirent Aetius, par exemple, installés dans l’Orléanais, ne comptaient que 3000 guerriers. Comme on le voit, si l’on considère que le rapport des soldats à la population tribale locale était de 1 à 5, les effectifs des envahisseurs étaient extrêmement faibles, par comparaison avec les populations locales. Leur proportion a pu atteindre 2 à 5% du total des Gallo-romains.

Ces tribus armées ou ces armées tribales issues d’une etnogenèse plutôt complexe, avec amalgame permanent de populations locales ou lointaines, étaient à la fois des émigrants pacifiques et des envahisseurs encombrants et destructeurs.

Ce ne fut pas le cas des Germaniques Orientaux. Les nouveaux venus, coupés de leur pays d’origine, la Scandinavie ou l’Europe Orientale, ne purent renouveler leurs effectifs. Ils crurent se protéger en établissants au milieu des vaincus des états-garnisons, avec ségrégation officielle. Outre plus ou moins de violences exercées à l’égard des populations locales, le maximum étant infligé par les Vandales, le minimum par les Burgondes, ils refusèrent toute fusion avec les provinciaux romains. Les Wisigoths en particulier, reprirent en 506 la loi de Valentinien Ier, en y ajoutant le commentaire suivant : « cette loi décide qu’en aucune manière il ne peut y avoir de mariage entre provinciaux romains et barbares, même si ces derniers font partie des troupes appelées gentiles ou cataloguées romaines ». Les astuces juridiques étaient donc ici impraticables, la séparation totale. Elle aboutit à la disparition des Vandales.

Les germaniques occidentaux, quant à eux, eurent une toute autre politique démographique. Ils ne s’interdirent jamais le mariage ou, plus exactement l’ « union » mixte.

Signalons aussi la présence, par petits groupes, de Saxons sur les côtes du boulonnais. Des Taifales, installés dans le Nord pour tenir en main les Bagaudes. Mais ces petits groupes furent très vite assimilés. Les Francs, en revanche, bouleversèrent les « pays » où ils s’installèrent.

Note :pas tous, il est vrai, parce qu’on ne voit pas très bien qui ils auraient pu bousculer en Flandre maritime ? Quelques saxons et frisons peut-être, mais si peu...

Les mouvements francs, contrairement à une idée un peu simpliste ne concerne pas uniquement notre pays et le Nord de la France. C’est toute une zone « frontière » que l’on peut qualifiée de « linguistique », qui prend forme à cette époque. Et elle va s’étendre de la Mer du Nord jusque en Italie.

Ils investissent l’Alsace, avec méthode, puis la Suisse, à l’exception du canton des Grisons où l’on parle encore aujourd’hui un dialecte roman. Les Bavarois profitent que les rives du Danube soient dégarnie de population pour s’y installer. Pour schématiser , nous dirons que les romains ont été bousculé et submergé sur une distance de 100 à 200 km, par rapport à la frontière romaine ancienne.

Quant aux  Avars, manquant de femmes, ils firent une chasse aux slaves jusqu'en Bohêmes...

Les Francs laissèrent aussi derrière eux des zones dépeuplées. C’est Fortunat qui nous laisse une image plutôt troublante (« Poèmes », appendice I, v.17 – 18) : « Des cadavres, hélas mal inhumés, jonchent les campagnes, vaste et unique cimetière de toute une nation ». C’est en 531 que les Francs écrasèrent le royaume de Thuringe…

C’est ainsi que l’on apprend que l’habitude germanique est de massacrer tous les hommes et d’emmener les femmes et les enfants à la mamelle en esclavage.

Le principal résultat de l’arrivée des Germains fut donc un bouleversement de la romanité par la frontière linguistique. Elle n’est d’ailleurs pas linéaire et forme une plage avec des îlots urbains comme Metz, Trèves, plus loin Augsbourg… Elle comporte aussi, en plein pays latin des villages dont le nom se termine par « ingen » ou « court ». Mais tout cela représente une nouveauté humaine considérable de conséquences Avec le temps, c’est un lieu où les populations se mélangent.

Note : Je n’ai envisagé ici que les mouvements de populations germaniques. Mais ils en engendrent d’autres. C’est le cas des populations romaines déplacées : des troupeaux de romains réduits en esclavage ou encore les fuyards. Dans le premier cas, les razzias étaient systématiques et on ignore combien d’entre eux revirent un jour leur patrie…

Il y a enfin ceux qui se résignèrent à l’exode et qui appartenaient aux classes les plus élevées de la société. Ils partaient vers l’Italie, vers Constantinople. Ceux de la Gaule du Nord tentèrent d’atteindre Arles et Marseille. Cette chasse à l’esclave a gravement perturbé l’équilibre d’une population jusqu’alors stable. Mais le pire n’est pas encore arrivé.

Une première fois, la peste bubonique était apparue en Italie en 442, puis en Gaule et en Espagne. Après l’arrivée des troupes byzantines en Occident, le long des routes commerciales depuis Constantinople, Antioche et Alexandrie, en 547, ce fut la grande épidémie, suivie d’innombrables retour de flamme, jusque 693. Toutes les côtes de la Méditerranée furent ravagée, en particulier le Latium et la Provence. A l’intérieur, elle s’arrêta à Reims et à Tours. Néanmoins, l’Irlande et le Pays de Galles furent atteints. Cette peste qui frappa au moins à quatre reprises, est dénommée « justinienne ». Par comparaison à celle de 1348, elle fit moins de ravages, car les pays étaient moins peuplés. Elle pénètre peu à l’intérieur des terres, s’arrêtant aux points de rupture de charges des routes commerciales. Ports et villes ont dû payer un lourd tribu au fléau.

L’exemple de l’Italie est édifiant : Procope affirma qu’en 538 – 542, la famine fit dans le Picenum (les Marches actuelles) 50.000 morts. La peste, quelques années plus tard, emporta le reste. Sur deux cent évêchés (soit deux cent « villes »), soixante disparurent définitivement. Lorsque les Lombards entrèrent par le Frioul en Italie, en 568, ils ne trouvèrent personne devant eux. Le monde romain ne fut épargné qu’en Espagne, en Aquitaine et en Neustrie. La Grande Peste Justinienne profita donc au monde germanique et la rupture démographique fut fatale surtout à l’Italie.

Une découverte récente permet de confirmer le piètre état de santé des populations européennes aux temps barbares : l’arrivée de la lèpre lépromateuse, presque en même temps que la peste. La paléopathologie donne la possibilité de détecter le faciès lépreux de type équinien sur les crânes découverts dans les sépultures. Des observations cliniques récentes permettent de diagnostiquer, selon J. – F. Duvette (1993), la présence de cette maladie en Egypte au Ve s. Puis deux cas sont signalés en Gaule d’après J.-B. Londiaux : à Vaison-la-Romaine, vers 480 et à Neuville-sur-Escaut vers 520. Les textes confirment les indications des paléophatologies. Des lépreux sont signalés, avec leurs caractéristiques faciales, à Tours vers 400, dans le Jura vers 450, à Cambrai vers 620. Les premières léproseries sont construites en Lorraine au début du VIIIe s. Bref, l’épidémie, venue d’Egypte, a emprunté le couloir Rhône – Rhin, pour se répandre ensuite vers l’intérieur, les îles et la Scandinavie.

Ce fut certainement l’un des fléaux qui entrava le développement démographique.

Note :tout ceci pour émettre l’hypothèse que nos ancêtres pouvaient déjà vivre quelque part dans cette Flandre au sens large et que cette supposition en vaut bien une autre…

10 - La famille après les invasions.

On peut ici se demander si les structures germaniques de la famille et du mariage ont eu des conséquences importantes sur le peuplement. La structure de base reste la parentèle, groupe familial issu d’une même ancêtre, logeant sous le même toit, avec gens de même sang jusqu’au sixième degrés, sans compter les vassaux et les esclaves.

Cette parentèle constitue à l’intérieur un espace de paix que l’on renforce par l’endogamie (obligation pour un membre du groupe de se marier avec un membre du même groupe), à l’extérieur par exogamie (obligation d’épouser un membre d’un groupe extérieur) l’élargissant et la renforçant. Elle évolue d’un système matrilinéaire vers un système patrilinéaire. C’est pourquoi elle est bilatérale, agnatique (parenté par les hommes uniquement) et cognatique (parenté par les hommes et les femmes indifféremment).

Pour obtenir la paix, il est nécessaire de prendre des épouses de manière à arrêter les conflits par le mélange des sangs. C’est pourquoi chaque homme a d’abord une épouse principale de premier rang, puis des femmes de second rang appelées concubines, dont les enfants sont là pour palier l’absence de progéniture de la première. Enfin, les concubines esclaves sont très fréquentes.

Certes, il est probable que, faute de moyens financiers, les milieux populaires germaniques ne devaient guère pratiquer la polygamie à grande échelle. Mais là où elle était pratiquée, elle aboutissait à une restriction des naissances.

Le roi Clothaire Ier, avec sept femmes, n’eut que neuf enfants, dont cinq lui survécurent. De plus, les femmes germaniques étaient réputées pour leurs talents à fabriquer des filtres et autres potions abortives et contraceptives. En sens inverse, l’installation des lois germaniques sur la nécessité de la procréation, sa protection, ne serait-ce que sur la répudiation de la femme stérile et l’hostilité au rapt, prouvent combien le mariage germanique était instable. Ainsi, ces groupes familiaux, appelés parfois « farae » (qui prendront plus tard la désignation de « clan ») s’ils étaient aptes à garantir la survie minimale au cours des migrations à l’intérieur de l’Europe, se révélèrent inadaptées lors de la sédentarisation. Ils ne contribuèrent qu’au maintien de structures aristocratiques endogamiques. En sens inverse, l’Eglise, lors de la christianisation de ces peuples, tenta de stabiliser le mariage en lui donnant un caractère public et officiel par l’échange des consentements. Décrètables pontificals et conciles espagnols, gaulois et anglais, cherchèrent à supprimer le concubinage mais échouèrent quant ils s’attaquèrent à la polygamie germanique et au divorce en général. L’effort principal de l’Eglise porta d’ailleurs sur le refus des mariages consanguins. Certes, ses raisons n’étaient pas démographiques et populationnistes, mais théologiques : il ne s’agissait pas, comme on pourrait le penser aujourd’hui, d’élargir l’implexe ancestral par une forte exogamie.

Durant tout le moyen âge, les interdictions de mariages consanguins jusqu’au troisième degré, puis jusqu’au septième degré, furent constamment reprises et répétées, accompagnées d’excommunication et de séparation des coupables. La cellule monogame indissoluble apparaît donc à cette époque, comme le montre certaines vies de saints, mais elle demeure très minoritaire. Pratiquement, malgré l’insistance officielle de l’Eglise sur les liens du mariage, la procréation, la fidélité et le sacrement, son influence reste faible sur les populations, et notamment sur les structures germaniques de la parentèle noble.

Cette impression générale de crise démographique est tantôt affirmée, tantôt modifiée par les résultats de récentes fouilles archéologiques de cimetières français, suivies d’analyses paléodémographiques. En général, il est facile de saisir dans les villages la présence d’un fond de population que les anthropologues appellent néolothique gracile, de petite taille – 1,67m pour les hommes, 1,55 m pour les femmes – et de crâne court (brachycéphale).

La présence de sujets de grandes tailles (dolicocéphales), certains ayant même des déformations crânienne d’origine orientale, prouve que cette présence a marqué les populations locales.

En Gaule, les rapports de force démographiques penchent, à la fin du VIIIe s., nettement en faveur du Nord. Les villes de Provence et de Gascogne s’éteignent, les une définitivement, les autres jusq’au XIe s.

Il est incontestable, au vu des tombes et de leur évolution chronologique, que la population augmente, tandis que la fusion avec les germains s’accélère. Les recherches anthropologiques de J. Blondiaux (1988) sur les squelettes des nécropoles de Marteville, Les-Rues-des-Vignes, Vron, Neuville-sur-Escaut, etc., permettent de confirmer cette situation démographique. En particulier, la mortalité féminine précoce et la mortalité infantile (50% des enfants meurent avant 20 ans), n’empêche pas le renouvellement des générations. A Les-Rues-des-Vignes, la fécondité par femme va de 4,1 à 5,91 enfants. Ceci aboutirait, par exemple dans le Cambrésis, à une densité de 15 à 20 habitants au km², chiffre bien supérieur à toutes les évaluations pessimistes faites jusqu’ici.

On constate, d’une manière générale, une lente augmentation de la stature pour les deux sexes. Cela amène à se demander si, dans nos régions, l’implantation germanique a modifié ou non le type physique.

On a vu que les auteurs antiques sont d’accord sur la haute stature des nouveaux venus. Or, incontestablement, on a découvert des groupes familiaux de statures très élevées (1,80m), doléchocéphales, avec un mobilier thuringien, au milieu d’une majorité d’individus de petites tailles (1,65m). Par comparaison avec des travaux allemands, il est possible d’en déduire qu’il s’agit de Thuringiens et d’Alamans venus de Wurtenberg. A Vron, ce sont des Saxons, population identique à celle que l’on retrouve en Flandre maritime et dont la typologie est très proche de celle du Jutland. A Neuville-sur-Escaut, la présence d’une douzaine d’incinérations d’un groupe féminin prouve clairement la présence d’étrangers aux Ve et VIe siècles. Encore plus intéressant est la constatation qu’à la fin du VIIe s., les grandes tailles et les crânes dolichocaphales diminuent. Un type uniforme, de taille moyenne, mésocéphale, est apparu : la fusion a eu lieu. Alors que les cimetières intégralement gallo-romains montrent une réelle endogamie, ceux qui comportent un groupe minoritaire étranger témoignent de l’existence de mariage entre les deux populations. Au-delà de la zone de contact se retrouvent alors des populations germaniques avec leurs caractéristiques propres.

On doit conclure avec les paléodémographes, l’anthrppologie, la toponymie et l’archéologie à une combinaison pouvant permettre la reconstitution du peuplement du haut moyen âge. Avec ses premières analyses, on peut conclure à une lente absorption des nouveaux venus des Ve et VIe s., et à la stabilisation des langues romanes et des langues germaniques.

L’évolution des populations locales face aux émigrés révèle plusieurs réalités. Les nouveaux venus étaient peu nombreux ; les Germains orientaux déracinés ne purent se renouveler et disparurent. Les Germains occidentaux, eux, purent constamment se reproduire. Déstabilisés par les razzias esclavagistes et l’exode, les anciens romains subirent ensuite de plein fouet les épidémies de peste et de lèpre. Et ils souffrirent certainement encore plus que les germaniques qui furent épargnés.

Cette population en crise, en voie de diminution, ne pouvait guère se reconstituer, étant donné, d’une part la structure minimale de survie assurée par la famille germanique et, d’autre part, les échecs de l’Eglise pour faire abandonner le divorce ou reculer l’endogamie.

L’état démographique des villages est proche de celui du tiers monde actuel, avec de brusques mortalités et une forte natalité.

Malgré cela, la fin du VIIe s. révèle une reprise démographique, soit une augmentation naturelle, soit un renouvellement, grâce à la présence de minorités étrangères. Celles-ci fusionnent incontestablement avec les populations locales.

Le taux de mortalité reste très élevé : 4,5%. L'espérance de vie à la naissance atteint à peine 30 ans. La durée de vie moyenne se situe aux alentours de 45 ans pour les hommes, mais seulement de 30 à 40 ans pour les femmes. Elles mouraient en effet souvent entre 18 et 20 ans, par suite des couches impossibles ou de fièvre puerpérales. Il fallait beaucoup d’enfants et beaucoup de femmes pour survivre. Les vieillards étaient rares. L’exception de Sannville, où 41% des sujets avaient plus de 60 ans, au VIIe s., alors que l’on n’y retrouve aucun squelette d’enfant, laisse planer un gros doute… L’étranger y est rare.

A Tournai, la nécropole de la Rue Perdue comporte 55% de squelettes dolichocaphales. Il s’agit d’une population civile, car la garnison germanique est enterrée dans la nécropole de la rue du Parc.

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11 - VERS LA NAISSANCE D’UN PEUPLE.

Deux peuples d’origine germanique, les Francs et les Saxons, ont principalement marqué la région d’une empreinte indélébile ; empreinte de plus en plus profonde à mesure que l’on approche de la Mer du Nord. Cette colonisation germanique s’est faite selon deux axes. Par les Francs qui, partant de la Campine, ont fait route vers Tournai et Cambrai, puis vers la Somme. Par les Saxons (et les Frisons) qui ont occupé et mis en valeur la Westflandre, le Boulonnais et le Marquenterre. Même si les Francs se sont rapidement rangés du côté de l’Eglise pour parvenir à bâtir un empire et se sont heurté avec violence et cruauté aux Saxons, ils n’en restent pas moins des Germains plus proches de leurs frères ennemis et de leur vision du monde, que « d’une religion qui n’était répandue que dans la « pars orientis » de l’Empire » (1), le christianisme.

Le secret de l’histoire de cette région – dont je pense que nous sommes issu – est pour ces cinq siècles dans ce formidable affrontement entre deux vues du monde que l’on peut ainsi résumer : le paganisme ouvert et sauvage des Germains contre le monothéisme intolérant et humanitaire de l’Eglise qui a réussi à mettre de son côté le peuple de Clovis.

Le premier a été presque totalement occulté par l’histoire officielle. L’Eglise quant à elle l’a « camouflé » sous des apparences chrétiennes et, ce qui était « culture » populaire sera dorénavant appelé « superstition » et finira un jour sur le bûcher des sorcières…

Et pourtant : « La victoire fut trop rapide, trop complète. Ces troupeaux de païens, Romains, puis Barbares, poussé de gré ou de force dans le giron de l’Eglise, ont dégradé et altéré le sentiment chrétien. Ces foules ont subrepticement réintroduit les superstition s et le polythéisme dans le christianisme qui en avait horreur. (…) Ces masses trop vite converties apportèrent à l’Eglise des coeurs insuffisamment purifiés, où les germes païens, mal étouffés, reprirent vigueur. Le paganisme est la mauvaise herbe qui repousse sans cesse dans le catholicisme » (2). Rome disait d’eux, au IIIe siècle déjà, qu’ils étaient un peuple aussi redoutable sur terre que sur mer. Regroupement probable de plusieurs peuplades (Chattes, Chamaves, Bructères, etc.), on s’explique mal son succès, sa durée par rapport à toutes les autres tribus germaniques qui, à la même époque, ont traversé l’histoire en une épopée éphémère C’est peut-être qu’à la différence des autres peuples, les Francs ne se sont pas épuisés au cours d’attaques meurtrières contre les « limes ». On a le sentiment qu’avant de prendre la relève de l’Empire, ils se sont éduqués progressivement au contact de la civilisation romaine, tout en conservant et en cultivant les qualités de vigueur et de vitalité des Germains. Multipliant les prises de postes de commandement au sein de l’armée romaine et les implantations de populations au sein de l’Empire grâce à des « foedi » (3), ils se familiarisent avec la politique romaine, et acquièrent une capacité de concevoir des ambitions plus vastes que la rapine immédiate ou la concession de quelques lopins de terre. Leur progression est régulière vers le sud. Dès que Rome lâche un peu de terrain, ils s’installent, en Campine, dans le Brabant et, à chaque fois ils obtiennent un traité qui leur est favorable.

Lorsqu’en 406, le « limes » est rompu en plusieurs endroits et que quelques peuples déferlenent sur la Gaule, les Francs n’y participent pas. Ils laissent les autres brûler, piller, anéantir, ravager . Mais lorsque le « limes » est définitivement abandonné, au cours de la deuxième moitié du Ve siècle, que l’autorité romaine dans le nord de la Gaule se résume à une simple armée de campagne dans le bassin parisien, ils chargent à nouveau leurs lourds chariots et se remettent en route, accompagné des femmes, des enfants et des bestiaux, pour poursuivre leur lente progression vers le sud. Cette progression et cette occupation de terres sont d’ailleurs facilitées par l’établissement antérieur dans la région de colons qui constituent, dès le début, une espèce d’avant-garde pionnière.

En 481, avec l’avènement du jeune Clovis, dont les ambitions apparaissent sans limites, les événements vont se précipiter. Il semble bien que le fils de Childéric ait eu les moyens de forcer le destin : en balayant la petite armée de Syagrius, dernier vestige de l’autorité romaine, il entame un processus d’unification du pays entre la Meuse et la Seine, entre la Somme et la Loire.

Nous verrons avec quels moyens il se débarrassera de ces roitelets qui l’encombraient…

Clovis ne disposait pas d’une forte armée. Il lui fallait un autre moyen : un allié. Je ne pense pas que ce soit Clovis qui ai pu le choisir. Ce serait plutôt lui qui aurait recueilli les faveurs de l’Eglise - comme nous le verrons plus loin – parce qu’il était toujours un … païen ! Le clergé romain y voyait sa meilleure chance, comprenant que la situation de l’Eglise devenait difficile, si pas désespérée…

Maintenant, avouons que le degré de sincérité de Clovis , au moment de sa conversion, était nul. Un peu comme Henri IV, et on n’y voit qu’un simple calcul politique… Voyez ce peuple baptisé par charrettes entières sur l’ordre de son chef… Qu’importe, ayant besoin l’un de l’autre, il s’agissait d’une très bonne affaire… et qui allait réussir ! L’Eglise avait besoin d’un bras fort, féroce et ambitieux et Clovis avait besoin de conseils, d’influences et de capacités d’organisation.

Pour notre région, il s’agit bien d’une colonisation et non d’une conquête : le principal affrontement militaire se sera limité à l’élimination de Syagrius.

Guerriers, les Francs le sont indiscutablement, tout au moins pour son élite, une classe de guerrier, de chefs militaires, mais pour le reste, il fallait aussi faire vivre et manger. Il est impossible de dire avec une quelconque précision qui constituait la classe « laborieuse », du moins celle des paysans. On doute qu’il s’agisse de Franc, j’entend de « vrais » Francs, sans doute bien trop orgueilleux pour se pencher sur la terre.

Il est certain qu’ils se sont installés aux côtés d’autres occupants, des Gallo-romains ou d’autres Germains arrivés avant eux. Sans doute aussi devait-il subsister des « îlots » d’autochtones, d’origine plus ancienne…Etaient-ils vraiment plus nombreux et leur fut-il indispensable de chercher des terres encore non exploitées ? Mystère…Mais leur roi était le vainqueur, l’Eglise s’imposait grâce à lui et leur rôle conjoint dans la région devint rapidement prédominant. D’autant que l’épiscopat demeurait la seule force morale et, grâce à ses richesses en terres, la seule ressource économique pour les populations (4).

Dans le tome LXXXVI des « mémoires de la Société d’émulation de Cambrai » (5), H. Boone décrit avec une précision et une clarté remarquable, avec documents, archéologie et toponymie à l’appui, le processus de formation ethnique du Cambrésis. Ceci à titre d’exemple, mais que l’on pourrait sans doute étendre à d’autres lieux…

Partant d’une description du Cambraisis primitif, avec ses étangs profonds et ses zones marécageuses (marais de la Sensée, du bas Erclin et de la basse Selle au nord, sillon marécageux du canal des Torrents au pied des collines de l’Artois au sud, marécages de l’Agache à l’ouest), ses tribus primitives, nomades et dispersées dont il reste le toponyme de Cantimpré (6) et les mystérieuses « Pierres-Jumelles », H. Boone évoque l’établissement des comptoirs commerciaux de l’époque gauloise : Bannt-eul, Brach-eul, Cent-eul devenus Banteux, Bracheux, Sainte-Odile (7) et les petits centres agricoles qui se sont formés dans la plaine (Vélu, Ossu, Pelu, Avelu). La difficile conquête romaine ne fait que développer ces modestes centres commerciaux pour en tirer le maximum de profit. L’implantation de la population n’a alors surtout lieu que dans la vallée de l’Escaut et les plaines environnantes ne sont quasiment pas exploitées.

L’arrivée des Barbares marque un tournant fondamental dans la formation ethnique du Cambrésis : « Un nouvel afflux d’étrangers, venu cette fois non plus du sud mais du nord-est, marqua le Cambrésis à la fin du IVe siècle et au début du Ve. Afflux bien différent d’ailleurs des deux précédents, et qui, en obligeant à tenir compte d’un facteur nouveau, le nombre élevé des arrivants, changea la face du pays »., note H. Boone. Les premiers que l’on dote de terres sont des Saxons qui harcelaient depuis longtemps le pays, remontant les fleuves pour piller les villes. Réduits en servage, on les affecte à l’exploitation d’un « ficus », celui de Flavigne qu’ils traduiront par le « Thun de Flavigne ».

D’autres sont regroupés au bord des marais de la Sensée où l’on voit apparaître des toponymes en « hem »(8), Hem-Lenglet par exemple. Rapidement par accroissement naturel, la population augmente et ces Saxons créent d’autres exploitations : Fressies, Fressain, Féchain, Wasnes, Estrun, Oisy, Sains…

Chez moi aussi, avec les marécages de l'Espierre primitive, des saxons peut-être se sont installés là où s'élevera l'"Hostel des Haies", avec un toponyme en -hem qui deviendra Le Ham et l'éventualité d'une exploitation qui se serait appelé "Fres - huwé"... Une simple éventualité, mais qui sait ...?

Une deuxième vague germanique arrive quelques décennies plus tard. Ce sont des Vandales et des Goths qui ont fui les Huns au début du Ve siècle. Ils n’arrivent pas en vaincus mais en force : si on ne leur fait pas de la place, ils la prendront eux-mêmes à coups de massacres et de pillages. On les installe sur le plateau « sans arbre et sans rivière » entre la Selle et Erclin, « si semblable à leur steppe natale ». Ils y fondent les villages de Quievy, Vieslu et Briastre.

Enfin, arrive la dernière vague, en 429, plus puissante encore et plus sûre d’elle-même. Sous les ordres d’un chef franc, Clodion, elle s’empare de Cambrai par la force, mais comme tous les Francs, compose encore avec l’Empire. On lui abandonne les grandes plaines de l’ouest du Cambraisis. Les nouveaux venus s’imposent vite en maîtres du pays. Clodion se fait bâtir trois grosses fermes (des « marks ») : Marcoing, Marquiuon, Marcq-en-Ostrevent. Et, H. Boone de poursuivre : « A Cambrai même, il se bâtit une demeure fortifiée, une « sala » - château de Selles – auprès de laquelle se groupe tout un quartier franc. Autour de la ville, il constitua une sorte de camp retranché appuyé sur les forts de Cuvilliers, Cauroir, Niergnies, Cantaing et Sailly qui commandaient les cinq principales routes aboutissant à Cambrai. Près des centres d’habitation ruraux, il mit des postes fortifiés (Rumilly près Masnières, Esnes près Brineux, La Franqueville près Bantouzelle), et, à l’abri de cette occupation militaire toute puissante, il élargit sensiblement les concessions territoriales faites. Dans les landes de l’ouest, il fit venir des familles de gens de son pays, créant un véritable état franc où il sera le seul maître, s’étendant non seulement sur les landes cambraisiennes, mais sur toute la région jusqu’à Bapaume, en pleine Atrébatie, avec de nombreux prolongements dans les vallée de l’Escaut où les propriétaires gallo-romains étaient évidemment peu à peu remplacés par des Francs ».

La colonisation est alors achevée. L’élément germanique prédomine. Mais la fusion des différentes composantes ethniques n’est pas faite. Chaque groupe conserve ses coutumes, ses usages propres en un enchevêtrement inextricable. L’alliance de Clovis avec l’Eglise va entamer un autre processus : celui de l’unité politique et de  l’alignement des esprits sur les enseignements des prêtres. L’évêque devient un personnage officiel chargé des services du culte, de l’instruction publique et de l’assistance. On forme des prêtres et des religieuses qui ont mission de « répandre la foi catholique et prêcher l’union de tous comme enfants communs du même Père Céleste ». Cette volonté d’unité se heurtera à des résistances, comme le prouve la lutte acharnée des Francs contre l’ « Empire saxon de la Gaule du Nord ».

Lorsque le dynamisme saxon est encore à son point culminant, le nord-ouest de la Gaule tient même lieu de terre d’accueil au surpeuplement des Saxons d’Angleterre. L’historien grec Procope souligne le phénomène : « Il y a dans l’île (Angleterre) une telle multitude de peuples que, tous les ans, il en sort un grand nombre d’hommes qui, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, émigrent chez les Francs où on leur assigne un séjour dans les lieux les plus déserts ». Eric Vanneufville insiste, dans sa thèse de doctorat (« De l’Elbe à la Somme. L’espace saxon-frison des origines au Xe siècle »), sur l’aspect désertique de la Ménapie que les Belges ont en grande partie fui à la suite des invasions marines de la seconde transgression flandrienne : « Les siècles suivants (la fin du IVe siècle) ont vu la disparition progressive des restes de l’individualité ethnique et linguistique des Ménapiens. La densité de population de la région comprise entre la Lys, l’Authie et le littoral, est alors particulièrement faible. On a pu faire remarquer que, du VIIe au IXe siècle, le pays sis au nord de l’Artois est parmi les plus désertique de la Gaule mérovingienne » (Voir la carte : « La Belgique et les régions voisines à l’époque Mérovingienne » pour le commentaire).

On ignore si les Ménapiens n’ont pas fui aussi les saxons ? Toujours est-il que ces derniers fondent une forte colonie dans ce paysage rude et morne.

L’importante germanisation de la partie ouest du Pas-de-Calais et de la Flandre date de cette époque et serait surtout le fait d’invasions maritimes saxonnes et frisonnes et non des Francs qui, de la Campine, ont foncé vers le sud de la région. On constate en effet que le dialecte actuel du littoral est encore assez proche de l’anglais.

La proportion de toponymes germaniques apparus du IVe au VIIIe siècle est impressionnant au nord d’une ligne Béthune – Fauquembergues – Montreuil – Berck.

Il y a des particularités à signaler ici et qui sont de ces choses qu’aucun livre d’Histoire ne citera jamais…

Dans son étude, Eric Vanneufville décrit avec précision la naissance et la portée ethno-culturelle de cet espace saxon-frison le long de la côte de la Mer du Nord. Un espace occupé par des aventuriers de la mer que les conditions de vie ont rendus rudes et méfiants. C’est leur sang qui coulera dans les veines de tous les marins dont  s’ennorgueillit l’histoire régionale, des Gueux de mer à Jan Baert (Jean Bart). Leur unité provient en grande partie de l’utilisation d’un dialecte précurseur du « Nordseegermanisch ». Ils possèdent également en commun une sensibilité, un style d’ornementation qui leur est personnel : le « North Sea Art » qui utilise abondamment les spirales en filigrane, les plis, sinuosités et entrelacs. Marins, conquérants et artistes, ils sont aussi et surtout de redoutables marchands qui ont ouvert les routes maritimes sur lesquelles reposera la richesse de la Hanse, gigantesque organisation commerciale des mers nordiques. Leur commerce s’exerce avec une monnaie qui leur est propre : les « sceattas » qui semblent avoir été frappées pour la première fois en Angleterre par le roi Paeda de Mercie vers 655 – 656 et correspondent à la période de disparition progressive de l’or au profit de l’argent dans les transactions commerciales. Le fait que ces « sceattas » anglo-saxonnes aient assuré la circulation monétaire durant toute l’époque mérovingienne entre le Rhin et le Mer du Nord, montre suffisamment l'importance de l'expansion économique des Saxo-Frisons. Ils sont, pour plusieurs siècles, au centre d’un trafic incessant de textiles, de bijoux, de céramiques, d’armes, de vins du Rhin et du Bassin parisien, et d’esclaves Les grandes routes de l’époque sont principalement de la Scandinavie, par Haithabu et Birka, vers l’Angleterre en passant par Dorestad ou vers la vallée du Rhin (Xanten, Mayence, Cologne, Worms…),ou de Domburg-sur-Walcheren, Anvers, Dixmude vers St. Omer, Quentovic, Rouen, Paris…

Si ce bel exemple culturel et économique déclina à partir du IXe siècle, sous les coups des invasions normandes, ces dernières n’expliquent pas la « disparition » des saxons de nos régions…

D’accord, les « parenthèses » sont nombreuses, l’ensemble un peu décousu et les sujets un peu disparates…Il n’empêche que l’étude sérieuse de la toponymie régionale apporte autant de plaisir que la recherche de nos descendants qui ont vécu avec ces lieux, avec ces appellations qui leur étaient coutumières et qui peuvent, aujourd’hui nous sembler quelque peu bizarres.

Cette lecture des lieux permet de retrouver un ancêtre barbu et musclé, un autre puissant et riche, un troisième colérique et belliqueux. On apprend le nom du dieu ou de la déesse auxquels ils ont dédié une source et que le curé du coin aura bien dû transformer en saint Machin…., jusqu’au genre de maisons qu’ils habitaient.

Une courte énumération suffira : à Armboutskappel, Arinbald (c’est-à-dire hardi comme l’aigle) avait édifié une chapelle. Aubers, près de Lille, était la terre qui appartenait à Audaberht, le riche et le brillant. A Audenfort, nos aïeux franchissaient le « Aldan Furda », le vieux gué. Et Outryve pouvait bien être, à l’époque, « Alta Ripa »… Audembert signifiait pour eux la montagne du chien (« Hundas berga »). Reclinghem, en Artois était l’habitation de la tribu de Rikiwulf, le loup riche et puissant. Les habitants du modeste village de Broxeele, près de Cassel, sont les très proches cousins des bourgeois de la capitale, Bruxelles, qui était, à l’origine, comme son doublet  de la Flandre française, qu’une simple habitation dans un marais. A Huclier ou Huqueliers, en Artois, un terrain marécageux et boisé était peuplé de sangliers. Tourmignies, près de Lille, était la propriété de Thuramaer, renommé pour son audace. Winnezeele, près de Cassel, était la demeure de Wini, l’ami. Fresnicourt (le dolmen) était la ferme de Frikjo, le belliqueux ; Framecourt, près d’Arras, celle de Wulfahrabn qui avait les qualités et les défauts du loup et du corbeau. Un autre oiseau, le faucon, avait décidément décidé de nicher au sommet du Falkenberg, ou Fauquembergue à peine altéré. Hesmond, près de Montreuil-sur-Mer, s’appelait encore Hethenasberg au haut Moyen Age et était la montagne de Haidanas, le païen. Hestruva, près d’Hesdin, était la vallée de Hildiraed, le conseiller dans le combat. Hubauval, près d’Arras, celle de Hugubald, l’intelligent et l’intrépide. A Verlinghem habitaient les gens d’Eburilo, le petit sanglier. Ledezrzeele était la maison de Leudihari, l’armée du peuple. A Linselles, s’élevait une « sali », maison d’une seule pièce dressée près du « lindo », le linceul.

A Darnetal, près de Montreuil et de Doullens, tout comme à Dernestall en Angleterre ou à Darniburg en Allemagne, les Germains redoutaient une « darnja stedla », une écurie ensorcelée et mystérieuse. A Harnes, ils respectaient les « harnas », les mégalithes, de même qu’à Herne, en Westphalie. A côté de l’Aa, on rencontre la Peene, affluent de l’Yser qui a une soeur en Poméranie dont l’embouchure dans la Baltique (Peenemünde) fut célèbre durant la Seconde Guerre mondiale.

Il y a parfois des anecdotes amusantes, comme ces étymologistes du dimanche qui voyaient des Turcs derrière Tourcoing, quand ce n’étaient des « tours en coin » ! Ou l’étymologie des villages d’Oxelaere et de Hardifort près de Cassel, qui rappelleraient les efforts du géant fondateur du mont Cassel : « Oh que c’est lourd  »  ou « Hardi fort » ! On notera ici, sans se soucier des anachronismes, comme il est facile de faire parler à ces braves géants un français qui n’était même pas encore implanté dans ces localités à cette époque… L’étymologie exacte d’Oxelaere évoque en flamand un terrain boisé et humide et Hardifort se réfère à un gué des descendants de la tribu de Hardo.

Parmi les historiens "amateurs" de Mousron, certains ont ainsi voulu voir dans Mous-cron une endroit primitivement "moussu"...!

12 - LIMITES DES LANGUES GERMANIQUES ET ROMANES

La toponymie sera une excellente auxiliaire pour nous aider à déterminer le tracé des limites d’une « frontière » linguistique qui fut mouvante durant des siècles.

La petite région du Westhoek, où, du côté français on peut encore entendre parler le dialecte flamand, est le reliquat d’un domaine linguistique beaucoup plus étendu. Comme on l’a vu, après les invasions germaniques des Ve et VIe siècle, la majeure partie des territoires qui forment actuellement les départements du Nord et du Pas-de-Calais, ainsi que la province de Flandre Occidentale étaient germanisées. S’il est vrai que ces contrées avaient été romanisées à l’époque gallo-romaine, comme le trahissent les toponymes en « iacum » (Arneke, Kortrijk-Courtrai ou Kaster-Calstre), cela ne signifie pas que les idiomes germaniques antérieurs aient disparus. Le professeur Gysselincg, célèbre par son dictionnaire toponymique, affirme qu'il n'est pas exclu que, dans certains endroits, les envahisseurs germaniques du Ve siècle aient rencontrés un idiome germanique non encore éteint, comme tendent à le prouver des toponymes en vieux-germaniques tels que Wavrans et Wanquetin.

Quoi qu’il en soit, la germanisation est massive et s’étend bien au-delà des toponymes que l’on accepte généralement comme romans. En effet, l’aspect roman d’un nom de ville ou de village n’est pas la preuve que l’on soit en présence d’un nom totalement roman. Ainsi, dans le nom de la ville de Bertrancourt, près d’Amiens, le mot « court » est indubitablement roman, mais Berhtahramm qui compose la première partie du nom est tout aussi sûrement germanique : Berhtahramm signifie « le brillant corbeau ». Les exemples sont légions. Beaudricourt, près d’Arras, ne lasse pas deviner, sous une graphie romane, qu’il appartient à Baldarik, le hardi et riche. Néanmoins, quand on s’attache à tracer une limite entre les toponymes germaniques et les régions hybrides en « court », on parvient, au début du IXe siècle, à distinguer à peu près la frontière linguistique, ou plutôt la zone de contact des deux langues, selon une ligne de Berck vers Etaples et Montreuil, qui poursuit sa route vers Béthune et Lille et rejoint presque l’actuelle frontière linguistique en Belgique.

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