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Le blog de JeanM
10 novembre 2007

4.7 Notes : les Temps de la faim - 1

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On peut d'abord croire qu'à l'époque de César, ce qui sera la Belgique devait offrir dans toute son étendue l'aspect d'une forêt continue, interrrompue par des marécages et de vastes espaces recouverts d'eau dès que l'on s'approchait de la mer...

Quelques rares défrichements pouvaient être le lieu de vie de populations plus ou moins nomades qui devaient vivre en grande partie du produit de leurs troupeaux. Les documents sont nombreux qui nous apprennent que la Flandre restait une terre sauvage, inculte, hérissée d'immenses forêst, avec un climat plutôt rude...

Dion Cassius, Strabon, Orose et saint Paulin, qui vécurent du IIe au Ve s., sont unanimes pour dépeindre la Ménapie (la Flandre) et la Toxandrie (La Campine), comme des terres désertes. On cite aussi la forêt de Thorholt (bois de Thor), qui s'étendait entre Gand, Bruges et Thourout et que l'on prétendait impénétrable ! Les régions wallonnes, plus ou moins "civilisées" en bordure des voies romaines,  étaient recouvertes par la Silva Carbonaria couvrant le Hainaut jusque Bruxelles. Les Fagnes seraient ce qui subsiste de la Silva Fabina (forêt de hêtres). Les Ardennes sont les Sulpicius Severus.

Une petite mise au point pour éviter l'emballement commun à nombre de  nos historiens : la "civilisation" se limitait à des points occupés par des établissements romains, même si l'on peut les supposer florissants,mais dont on exagère généralement l'importance. On ne rencontrait alors que deux localités ayant le titre de "ville"  : Tongres et Tournai. Encore faut-il préciser que Tournai n'était en fait qu'une simple station de poste qui n'obtiendra le titre de "ville" que bien plus tard ! Quant à Arlon, Ciney ou Dinant, les documents historiques démontrent qu'elles n'avaient aucune dénomination prouvant qu'il s'agissait de "villes". Du moins, pas avant le Ve s.

Une "ville" d'alors n'était en fait qu'une étendue fort médiocre avec peu de population fixe. Quant à nos futures citées, au VIe et VIIe s, limitons-les à de petites bourgades perdues au milieu des marais, comme Anvers et Gand. Au fond des bois, comme Bruges et Ypres. Ou à de simples châteaux,comme Namur et Huy...

En résumé : des forêts, des marais, des bruyères à perte de vue, des lieux habité, mais encore dans l'enfance; les anciennes colonies romaines abandonnées ou languissantes. Comparée à la Belgique de César, aucun changement important ne s'est produit pendant ce laps de temps de sept siècles ! Aucune modification notable n'est survenue dans les moeurs, les habitudes et les croyances de la majeure partie de la population. Saint Paulin la décrit comme ayant des habitudes nomades et des moeurs "barbares". Dans la légende de Saint Médard, écrite vers l'an 540, les Flamands sont qualifiés de peuples féroces. Les auteurs des légendes de Saint Eloi et de Saint Amand ne sont guère à l'avantage de nos ancêtres.... A tel point qu'en wallonie, à côté d'anciennes meules à blé on découvre souvent des coins de haches en silex !!

Ce qui est certain également c'est que nos ancêtres s'occupait davantage de l'élevage que de l'agriculture. A telle enseigne que les délits contre les troupeaux étaient plus sévérement punis que les dégâts causés aux cultures. Il s'agissait donc bien de tribus nomades qui n'avaient aucun intérêt à se fixer et encore moins à défricher. Ils se contentaient d'ensemencer les terrains qu'offraient les clairières et d'y faire quelques travaux préparatoires, sur un espace fort limité et en se ne songeant qu'aux strictes besoins de la tribu.  Ce genre de vie, au niveau de la subsistance, donnait lieu à un régime alimentaire particulier. S'appliquant faiblement à l'agriculture, la récolte n'aurait pas pu suffire à leur nourriture. Sans doute l'employaient-ils essentiellement à la fabrication de la bière !! Au rapport de Strabon, la base de l'alimentation des germano-belge se composait de viande de porc, de gibier frais, de fruits sauvages et de quelques laitages. Tacite constate que les soldats romains en étaient réduit à la même pitance. La panification devait être un luxe (?) et se borner à la préparation de quelques galettes avec ou sans miel.

Ce régime restera en vigueur pendant les dix premiers siècles. L'usage du pain ne s'introduira que très lentement, à mesure que les centres de population prendront de l'importance. On comprend que l'on sache se contenter des produits de la forêt, de ceux des troupeaux et de de que fournit la chasse et la pêche et qu'une mauvaise récolte de grains ne pouvait pas causer de perturbation assez forte pour faire crier famine...

Il faut remarquer ici un fait frappant et qui ne semble pas avoir perturber les historiens dans leur belle assurance : les invasions et le passage des armées ne semblent pas avoir exercé d'influence appréciable sur les ressources alimentaires des populations des premiers siècles... Alors qu'au XVIIIe et encore au XIXe s. les rassemblements et les grands mouvements de troupes occasionnaient aussitôt la hausse des denrées, puis leur cherté et parfois la disette. Il faut bien évidemment admettre que les besoins étaient différents,les populations moindre et que les "barbares" avaient des méthodes tout à fait différente de ce que seront les tactites militaires de la fin de l'Ancien Régime !

Tout ce qui précède me semble suffisamment expliquer pourquoi, durant cette période de dix siècles, les chroniqueurs n'ont eu à enregistrer que très peu de famines ou de disettes : l'agriculture était à peine pratiquée dans quelques parties de la wallonies et était nulle ou à peu près, en Flandre. Peu de céréales, donc peu de consommation et le pain n'était pas un aliment de première nécessité.

Par conséquent, c'est sous toute réserve que nous prendrons les faits que nous présentent les chroniqueurs au sujet des disettes et famines, pendant les dix premiers siècles de notre ère.

La plus ancienne "calamité" se rapporte à une chronique rapportée au Comte d'Artois. Les termes ne nous renseignent pas du tout sur ce  qui a pu se produire. La chronique raconte qu'en 371, à la suite d'une sécheresse prolongée,il tomba du ciel une manne sous la forme de flocons blancs. Il n'est pas question de famine ou de disette, mais il paraît que les hommes et les femmes souffraient plus de la soif que de la faim... on dit que jusqu'au siècle dernier on conservait en la cathédrale d'Arras, dans une châsse d'argent, quelques parcelles de cette manne.

Maintenant, que l'on ne se fasse pas d'illusion sur l'Artois du IVe siècle... Par le passé, cette région fut le grenier à blé des provinces voisines, mais elle n'était déjà plus si prospère. S'il faut croire les légendes se rapportant à Saint Vaast, le saint homme trouva Arras à l'état de ruine où couraient les ours !! Saint Rombeau trouva le territoire de Malines infesté de loups ! On dit d'ailleurs que les environs de Bruxelles en étaient encore infestés au VIIIe siècle... Il est question, à cette époque d'une famine qui aurait sévit en l'an 743, partout en Europe Occidentale. Tous les épis de blés auraient été trouvés "vides" : insectes ou larves ? Bref, on a mit cela sur le compte du Diable... Les chroniques ne sont pas plus explicites sur une autre famine qui aurait atteint la Flandre au IXe s. L'an 823, disent-elles, au temps du forestier Inghelram, il survint un violent orage qui détruisit tous les fruits des champs et occasionna une grande disette dans tout le pays de Flandre.

On pourrait en discuter longtemps... L'historien dira que la Flandre était cultivée ou du moins que l'agriculture s'y était développée, alors qu'en fait il n'en était  rien !

Les certitudes viennent de Charlemagne qui, désiteux de voir se développer l'agriculture rendit un capitulaire en ce sens, ordonnant de distribuer des portions de forêts domaniales aux cultivateurs qui souhaiteraient s'y installer. En admettant que les forestiers ne soient pas un mythes, mais bien des personnages réels, alors il est parfaitement possible qu'Inghelram a essayer d'appliquer  dans son gouvernement ce fameux capitulaire. Et les agriculteurs auxquels il fit appel pourraient bien être ces saxons que Charlemagne avait, 25 ans auparavant transférés en Belgique. En ce IXe s., quelques parties de la Flandre auraient donc été offerte au défrichement et à la culture. Progrès fort restreint qui se bornait aux environs des "villes" et des communes naissantes. Défrichement donc et d'autres travaux entrepris par les abbayes établies un peu partout sur ce territoire. L'auteur de la "Vie de saint Folcuin" atteste qu'il n'y avait aucune amélioration dans l'état du pays et de la population. Fleury rapporte qu'à cette époque un évêque de Thérouanne demanda a changé d'évêché... parce que les habitants de sa juridcition étaient "des barbares farouches et indomptables" ! Les loups infestaient toute ces régions, à tel point que Charlemagne ordonna que chaque "comte" entretiennnent deux louvetiers. D'autre part, rien n'indique que les premières incursions des Normen aient eu pour conséquence une quelconque disette du blé ! Il n'y a donc toujours pas de grande extention au commencement du IXe s. Cette disette, rapportée en 843, aura donc été toute relative et s'être fait sentir dans quelques centres habités, peut-être en Flandre française, où le régime alimentaire se modifiait sensiblement.

Une dernière famine se trouve mentionnée au Xe s, en termes très vagues, qui se bornent à nous apprendre qu'en 981 l'abondance des neiges empêcha de semer les grains en temps utiles, que la récolte en fut retardée et qu'en attendant il y eut une disette.

Les deux premières famines sont sujettes à des doutes : celle de 371 serait une simple sécheresse; celle de 743 ne s'appliquerait pas à nos régions. Les deux dernières ont bien sévit dans nos provinces : celle de 823, dans les Flandres françaises; celle de 981, principalement en Hesbaie. Dans ces deux contrées, l'évangélisation est apparu très tôt; les premières elles furent dotées d'abbayes, connurent le défrichement et les cultures. Ailleurs, en Flandre principalement, on était beaucoup moins avancé. Si, dès le VIIe s, il pouvait exister des fondements de bourgs et de villages, les invasions normandes du IXe s. sont venu les écraser et on ne saura jamais si elles renfermaient assez d'éléménts pour se rétablir de ce désastre. Au XIe s, les provinces flamandes et frisonnes sont toujours fort arriérées par rapport aux provinces wallonnes. Depuis le VIe s., cinq centres épiscopaux étaient fondées sur le territoire s'étendant depuis Cambrai jusqu'à Maastricht, alors que l'évangélisation peinait toujours en Ménapie et en Toxandrie. C'est vers la même époque que la wallonie voit s'ériger ses premiers monastères et, conjointement apparaître l'agriculture et une certaine amélioration matérielle.  La Hesbaie, le Condroz, l'Artois, le Tournaisis et le Cambresis virent s'élever près de trente abbayes,la plupart de l'ordre de Saint Benoît. En Flandre et en Campine, ce seront les Bénédictins qu feront les premières tentatives. Dès le VIIe s., Saint Amand jéte les fondements des abbayes de Saint Bavon et de Saint Pierre-au-mont-Blandain. Il en élévera une troisième, à Tronchiennes, sur les bords de la Lys. Selon certains documents, des abbayes selon Saint Benoît auraient existé avant Charlemagne, à Furnes et à Deurne. Malheureusement, l'action de ces établissements n'a pas produit de grands résultats. Dans le principe, ces moines étaient pauvres, vivaient au sein d'une population hostile et, avant tout, étaient tenus de compléter les travaux apostoliques de saint Eloi et de saint Amand parmi les Suèves. Arrivent ensuite les Normen qui saccagent complétement ces trois abbayes qui ne se reléveront jamais de leurs ruines. Ces dévastations seront la cause principale d'un retard conséquent pour la Flandre.

Donc, du VIIe au VIIIe s., l'ordre de Saint Benoît s'établit en pays gallican et wallon. Il y a ensuite un temps d'arrêt avec l'arrivée des Normen. Au XIe s., on observe une reprise dont profite surtout la Flandre Occidentale avec l'ordre de Saint Norbert. Il est certain également que l'amélioration est toute relative et en tout cas fort restreinte car, autrement, comment expliquer qu'il fut encore si souvent question, au siècle suivant, dans les chartes, de terres vagues, incultes ou en friches ??

Au XIe s., nous avons donc trois abbayes : Tronciennes, Saint Bavon et Saint Pierre. Nous dirons que le peuple est évangélisée pour la plus grande partie et qu'il ne manque ni d'églises, ni de chapelles ni d'ermitages... Que l'on pouvait trouver quelques cultures autour des "villes" et villages mais que tous ces efforts ne donnaient pas de grands résultats. Le clergé d'alors ne jouissaient pas encore de grands biens,le peuple ne pouvait en posséder,les cités sont naissantes et les villages, composés de quelques habitations, s'élevaient épars au milieu des bois.

La Flandre restait toujours ce "désert sans fin et sans méséricorde" dont parle l'"Exellente chronique". Le Pays de Waes en formait la plus sétrile et la moins habitable. Une moitié consistait en bois et en bruyères, et l'autre se trouvait périodiquement sous les eaux de l'Escaut. Le Brabant n'avait pas un aspect plus brillant. Ce sera surtout la Campine qui présentera le spectacle le plus désolant de solitude et de stérilité. La vie de Saint Lambert, écrite au XIe s.,trace un triste tableau de ses vastes genetières, de ses marais et de ses landes habitées par des "barbares inhospitaliers, vivant de chasses et de rapines".

Tous ces détails sont nécessaires me semble-t-il pour faire comprendre ce que pouvait être une famine en "ces temps-là". Il faut se rendre compte que les produits de l'ensemencement étaient insuffisants pour les besoins d'une population, si minime soit-elle. Il aurait fallut faire appel à l'étranger pour y suppléer, chose pratiquement imposssible à cette époque où le commerce entamait à peine ses relations par mer et où les transports par terre étaient longs, lents, coûteux et... peu sûrs ! Une disette au XIe s., était donc un fleaux terrible... Parmi les disettes annotées par les chroniqueurs, on remarque celles des années 1010, 1024, 1032 et 1036. Cette dernière aurait été provoquée par une immense quantité de mouches "qui gâtèrent tous les fruits des champs...". Une famine cruelle et dont l'histoire a conservé l'horrible souvenir, celle de l'an 1044, se déclara à la suite d'une sécheresse de trois années consécutives. On nous rapporte que les souffrances du peuple ont été poignantes et la misère affreuse. Dans les campagnes on déterrait les morts et on allait à la chasse des vivants. On se disputait les lambeaux de cadavres. Des hommes, rendus fous par la faim attaquaient les voyageurs sur les chemins. On tendaient des embuscades aux enfants pour les égorger : des festins dignes de cannibales ! Il semble que l'horreurs ait atteint son maximum en Champagne, où, sur certains marchés on exposait de la viande humaine !! Si l'on connaît un peu ce XIe s., on ne sera pas surpris que de tels actes fussent possible... Au delà de ces considérations ou à cause de ces faits précisément, bien des gens de l'époque ont dû réfléchir aux moyens d'éviter à nouveau de tels drames : former des réserves, augmenter la production, étendre les cultures, défricher, endiguer... mais quelle association de particuliers serait venue à bout d'une telle entreprise ? Avec quel mobile, quel but ? C'est alors que les ordres religieux se présentèrent pour résoudre le problème. En fait, eux seuls en avaient les moyens. Ce sont ces considérations qui amenèrent, avant la fin du XIe s., la fondation d'une demi-douzaine d'abbayes en Flandre, dont trois dans les vastes forêts occupant alors le territoire d'Ypres. Notons encore les disettes de 1062, en Flandre et de 1095 dans presque toutes les provinces belges. Cette dernière n'offre rien de particulier si ce n'est le premier exemple de pillage des "châteaux" et des maisons en Flandre.

La première famine que nous rencontrons au XIIe s., est celle de 1125-26. Elle fut causé par l'intensité et la persistance des gelées jusqu'en avril : "Car, quant ce vint sur le printemps,le tamps fut si pervers, tant par pleuves,tant par gelées jusques la moyenne de mars, et puis après vindrent grandes froisures dont l'air estoit si froid que les arbres et les herbes ne pouvoient produire leurs fleurs; toutefois, à très-grand paine florissent-elle en may; car tousjours ou d'un jour à l'autre il plut tant en cel an que les semences des parchestres comme pois, avaines, orges, secouvons et telle manière de grains furent comme tous perdus et mêmes les soilles (seigles) et les bled furent comme tous ars (brûlés)". Ainsi, ce fut la succession de trois saisons calamiteuses : un hiver long et rude, un printemps froid et gibouleux, un été pluvieux et humide qui empêcha les grains de se former, de mûrir et amena la famine. On la ressentit partout en Flandre où les victimes étaient tellement nombreuses que les routes semblaient semées de cadavres humains. Il faut ici signaler la rapacité de quelques usuriers qui avaient accaparés tous les grains importés du Nord par les Hanséates, ce qui amena une hausse factice très au-dessus des prix réels des blés.

Après cette cruelle famine, les chroniques de Flandre annotent trois disettes dans les années 1133, 1146 et 1151. Toutes les trois furent mises sur le compte de la sécheresse. On ne signale rien d'autre de particulier.

Ici, on remarque que les auteurs varient quant à l'année où commença une autre famine. Les uns nous disent 1162, d'autres 1163 et d'autres encore 1165. Si on la fait commencer en 1162 ou 1163, elle aurait dû être terminée en 1170. Or, pour cette année-là la "Chronique d'Anvers "dit "qu'il se manifesta une telle sécheresse que tous les fruits de la terre étaient torréfiés". Et la "Grande chronique de Flandre" d'accord avec cette citation ajoute que la noblesse et le clergé firent tout leur possible pour soulager la misère du peuple. Mais on présume que cette période était tout simplement en déficit continu de denrées. La différence de date peut s'expliquer par le fait que la disette régnait alors dans telle province plutôt que dans une autre et vise-versa pour une autre année... Mais de telles situations n'étaient pas exclusivement causées par un défaut de céréales, témoin la gêne, en 1179, provoquée par une épizootie qui emporta beaucoup de bétail et fit hausser le prix de la viande, de trois deniers jusqu'à trois escalins la livre !

Les dernières crises alimentaires à mentionner dans ce siècle, sont celles de 1183 et de 1196. La première fut provoquée par des pluies diluviennes, principalement en Hollande et en Frise. La seconde éclate en Flandre où elle se serait maintenue une dizaine d'années ! Elle commence par une récolte fort minime, dont la conséquence immédiate est une hausse sur le prix du grain. Cette fois, il y eu famine réelle : les pauvres durent se nourrir de racines sauvages ! Ils se disputèrent les cadavres d'animaux morts de maladie... Ce qui est frappant c'est la séparation nette entre deux dates : 1183 et 1196 et deux parties de territoires peu étendue et dont le climat ne différe guère ... Une autre particularité vient de la durée assignée à la seconde famine, qui se serait prolongée durant près de 11 années... sans que la Flandre ne soit devenu un désert !

Vous penserez : "Mais que font donc les moines...?" Si l'on compte bien une cinquantaine de nouveaux monastères, dont une vingtaine en Flandre, reconnaissons qu'ils étaient pour la plupart d'une date fort récente. La puissante abbaye de Villers, lors de sa construction, en 1137, possédait à peine huit bonniers de terre arable. De Villers à Nivelles, à Jodoigne et à Tirlement, tout le pays était terre de bruyères. La population était à l'avenant et dans un diplôme de la fin du Xe s., les compatriotes de Jean de Nivelles sont encore qualifiés de gens féroces... Le compliment n'est pas flatteur ! Que l'on songe un instant à la situation des Norbertins dans la Campine : les premiers fondateurs des abbayes de Tongerloo, d'Averbode, de Postel et de Bernen avaient eu à lutter contre les dangers, les fatigues, contre une foule d'obstacles naturels, les maladies, les privations que représentent toute colonisation. On imagine mal commment ils ont pu se maintenir durant les disettes et les famines qui se succédèrent durant le XIIe s., car leurs établissements étaient loin des centres populeux, loin des voies de communication... d'ailleurs impraticables plusieurs mois par an !

Arrivera le jour où ces monastères pourront pourvoir à l'entretien de leurs habitants. Le superflu, ils allaient pouvoir l'appliquer au soulagement de l'infortune, chaque fois que la famine moissonnera les populations de Flandre en distribuant des pains et des harengs. Et ce même esprit de sollicitude animera tous les autres monastères. C'est grâce à cette assistance que la misère des hommes pu être atténuée pendant les disettes de 1124 dans le Namurois; en 1232 en Flandre et en Brabant; en 1240 dans le pays de Liège et en 1294 dans toute la Flandre encore. Six crises alimentaires durant ce XIIe s., qui se manifestèrent à la suite de récoltes tardives ou perdues totalement : les unes furent attribuées à la sécheresse prolongée, les autres aux fortes gelées. Aucune ne semble devoir être rangé parmi les famines proprement dites, sauf celle de 1372, qui sévit assez violemment en Frise.

On remarquera - et le fait se présentera souvent... - que les disettes n'étaient pas toujours générales. Elles se bornent très souvent à une région ou à une autre et certaines ne dépassent pas les limites d'un canton ou le territoire d'une ville . La cause en est simple : la guerre ! La guerre qui dépeuplait les campagnes, ravageait les récoltes et pillait les réserves. Cette cause agit pendant tout le XIVe s. sur la France envahit par les Anglais et on assiste à des hausses de prix fulgurantes, variables d'une région à une autre. Le commerce n'y pouvait rien : trop de difficultés de communication et une multitude de juridictions fiscales et seigneuriales qui prélevaient des péages et des louchées, ce  qui augmentait toujours le prix de la chose transporté. D'ailleurs s'il y avait eu un réel bénéfice à transporter les grains d'une province à une autre, on comprend bien que les marchands n'auraient pas laissé échapper l'occasion !

Quand la disette ne franchit pas les limites d'un territoire urbain, c'est ordinairement le résultat d'un blocus ou d'un siège. La ville de Gand l'expérimentera en 1302 : la faction des Leliaerts en était maîtresse et leurs adversaires, les Klauwaerts firent tout pour que l'on ne puisse plus les alimenter.

Au XIVe s., nous rencontrerons d'abord l'année 1315, de funeste mémoire.

Ici, tout le monde est d'accord sur les détails de cette crise causée par des pluies longues et abondantes qui empêchèrent le grain de mûrir. Il commence à pleuvoir le 1 mai et cela durera ... 10 mois ! On suppose qu'il y eu quand même quelques accalmies... En juillet, lorsque l'on constate que la récolte est perdue, les prix des grains montent rapidement et atteignent des taux fabuleux sur les marchés.

Tous les observateurs décrivent la misère et la détresse des populations. On avait jamais rien vu de pareil : "Il y eut des hommes, semblables aux animaux qui allèrent brouter l'herbe dans les champs". On pourrait croire que c'est exagéré, mais Winsemius et Ubbo Emmins assurent que les herbes sauvages et mêmes des charagnes étaient recherchées comme d'excellents aliments ! On signale aussi que l'on allait pêcher les grenouilles... Après cela, on devine que chiens, chats, rats, etc. ne furent pas épargnés ! Durant cette crise nombre d'enfants furent abandonnés par leurs parents et errèrent par les routes avant d'y mourir. Le même sort atteignit beaucoup de mendiants de profession et on vit beaucoup de femmes mourir aux portes des églises avec leurs enfants à la mamelle. Les grands et les riches ne furent pas à l'abri du fléau : Louis X, roi de France, se trouvant à l'abbaye Saint Martin, à Tournai, y souffrit de l faim pendant les quatre jours qu'il y resta, car les vivres manquèrent souvent.

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